Alphabets
Au sein d’un espace tactile interactif, dix-neuf femmes de différentes origines récitent l’alphabet dans leur langue maternelle. À travers ces présences féminines se révèle cette part ineffable de l’identité de chacune, qui s’ouvre à nous à travers une intonation, une hésitation, un rythme. Le motif de l’alphabet est ici un prétexte par lequel s’engage une forme de communication autre, qui passe par le corps et le grain d’une voix, par un langage en amont des mots.
À travers cette installation, le langage s’appréhende dans le temps, par couches multiples et successives : c’est seulement lorsqu’il pose ses pieds sur l’immense tapis qui traverse l’espace que le spectateur voit apparaître les lèvres des femmes et que s’initie cette suite de rencontres aléatoires.
Les voix qui se superposent pour former cette courtepointe sonore sont celles de femmes de passage ou qui, pour la majorité d’entre elles, ont choisi d’immigrer pour recréer ici leur chez-soi. Le langage, dans ce contexte, prend une tout autre dimension. Il devient le lieu des racines, le lieu de la mémoire. Parfois, au fil des ans, ce lieu des origines se transforme en un espace flou, à la frontière de l’oubli. Les trajectoires particulières de chacune de ces femmes influencent de façon subtile leur manière de dire l’alphabet et l’installation témoigne dès lors de ces réalités complexes, liées à la préservation, à la transmission du langage, mais aussi parfois à sa détérioration, menant à la perte éventuelle de la langue et de la culture d’origine de certaines d’entre elles.
Within a tactile interactive space, nineteen women of different origins recite the alphabet in their maternal tongue. Through each of these feminine presences, an unutterable part of their identities is revealed by an intonation, a hesitation or a rhythm. The pattern of the alphabet is a pretext through which another form of communication is engaged as it happens through the body and the texture of the voice, in a language originating upstream from words.
In this installation, the language is apprehended through time, by multiple and successive layers. Only when the viewer steps upon the huge carpet crossing the gallery do the lips of the women reciting the alphabet appear, in a series of random encounters thus initiated.
The voices that superimpose to form this resounding patchwork are those of women who are staying here for a short period of time or, in most cases, who have decided to settle down here and recreate their home. Language, in this context, takes a whole different dimension. It becomes the locus of roots and the locus of memory. Sometimes, as the years go by, this locus of the origins becomes a hazy space, at the very edge of oblivion. The different paths each of these women has followed influence in a subtle manner the way they pronounce their alphabet. This installation thus bears witness to those complex realities, closely linked to the preservation and the transmission of language, but also, in some cases, to its deterioration, leading to the eventual loss of the language and culture of origin.
Lieux de diffusion / Exhibition history: Centre d’artistes Diagonale, Montréal 2009_